– Le penseur amoureux –
Ce matin en déjeunant, un chiffre donné en préambule de l’interview d’un économiste m’a fait tendre l’oreille pour écouter la suite. Il allait être question de l’accumulation du capital étudiée sur plusieurs siècles au niveau mondial. Le capital est entendu là comme l’ensemble du patrimoine (biens meubles et immeubles, actifs financiers…) générant un revenu et détenu par un individu ou à travers une société.
Ce chiffre, tiré d’un rapport d’une banque Suisse, établit que 46 % de la richesse mondiale est détenue par 1 % de la population. Non, je n’ai pas commis d’erreur, vous pouvez vérifier. D’ailleurs c’est ce que j’ai fait et j’ai trouvé d’autres chiffres tous aussi disons… surprenants ! La tranche des 10 % les plus fortunés réunit 86 % du patrimoine mondial. Autre donnée intéressante : le ratio patrimoine mondial/nombre d’individus majeurs donne une moyenne de 37 425 € par adulte, alors que la moitié de nos contemporains ne possèdent quasiment rien…
Bon, je fais l’innocent, mais même si l’on n’avait pas ces chiffres en tête, ce n’est un secret pour personne que la répartition de la richesse reste dramatiquement inégalitaire, au-delà même du rationnel.
On l’explique économiquement et historiquement par des tas de raisons et c’est ce qu’a fait avec brio et érudition, le chercheur en économie qui était l’invité du jour. J’ai appris, par exemple, qu’il a fallu près de 50 ans, au sortir de la seconde guerre mondiale, pour reconstituer le niveau de capitalisation qui existait en 1914, à l’aube de la première. Cependant la concentration des richesses reste peu ou prou la même qu’à la belle époque.
Mais le phénomène véritablement préoccupant de notre époque c’est que le rendement du capital croît maintenant plus vite que la croissance de la production et, dixit le spécialiste, « Si l’on ne fait rien, passé un certain stade, le capital se reproduit à une vitesse de plus en plus grande, qui tend vers l’infini. »
« Si l’on ne fait rien. » Je me suis absorbé un temps dans mes pensées : « Pourquoi l’on ne fait rien ? Qu’est-ce qui nous empêche de faire quelque chose ? »
Pendant ce temps-là, notre expert nous expliquait pourquoi les anglo-saxons avaient été poussés à libéraliser l’économie à outrance au cours des années quatre-vingt, en réaction à la menace de rattrapage économique par les vaincus de la seconde guerre mondiale. « Il faut comprendre que l’argent c’est beaucoup plus que de l’argent. C’est l’honneur des individus et aussi celui des États. »
Je me suis arrêté là. Il fallait que je réfléchisse. Je réécouterai le podcast de l’émission un peu plus tard pour écrire cette chronique, mais pour l’heure il me fallait répondre à cette importante question qui me taraudait : l’argent avait-il jamais représenté à un moment quelconque de ma vie – que j’en ai possédé ou pas, et j’ai connu les deux situations – mon honneur, ma fierté ? Et bien non. Un sentiment de sécurité, de la facilité pour vivre au quotidien, c’est indéniable. De la reconnaissance pour en avoir reçu, oui. Mais de la fierté, franchement, non.
En revanche, lorsque j’ai été généreux, lorsque j’ai pu, par un don, faire acte de reconnaissance, j’ai ressenti de la fierté. Mon honneur, c’est d’avoir l’occasion de rendre un peu, un tout petit peu de ce que j’ai reçu.
C’est un processus naturel. Pour rester propre, l’eau a besoin de circuler, l’air doit être renouvelé.
Pour terminer cette chronique un peu longue – mais dont le sujet ne pouvait être traité avec légèreté – je citerai volontiers un proverbe amérindien, qui sonne aujourd’hui plus que jamais comme une prophétie, « si l’on ne fait rien » :
« Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas. »
13 décembre 2013
Chroniques