– Etty HiIlesum (1914-1943) –
Etty Hillesum est une jeune femme juive vivant à Amsterdam qui entame en 1941, sous l’influence de Julius Spier, son maître à penser et amant, une longue démarche introspective qui passe par la rédaction d’un journal intime. Elle a alors 27 ans.
Ses premières confidences concernent sa vie sexuelle et ses relations intenses avec plusieurs amants. Mais, très vite la menace nazie l’amène à s’interroger sur la nature humaine, le sens de la vie, la manière de résister et de transcender l’horreur. Progressivement elle développe une relation intime avec, comme elle l’écrit dans son journal, « la couche la plus profonde et la plus riche en moi où je me recueille, que j’appelle Dieu. »
Voulant se porter au secours de sa communauté, elle intègre en août 1942 le camp de transit de Westerbork. Affectée à l’enregistrement des arrivants, elle joue un rôle d’assistante sociale, de psychologue et de conseiller spirituel. Les rescapés de cette période témoignent de sa « personnalité lumineuse » et de son grand dévouement. Elle se donne tellement qu’elle finit par tomber malade et est autorisée à retourner à Amsterdam pour se soigner.
En juin 1943, des amis lui proposent de la cacher, mais elle préfère retourner à Westerbork d’où elle partira en septembre 1943 pour le camp d’Auschwitz, en compagnie de ses parents et de ses deux frères. Selon la Croix-Rouge, Etty y serait morte le 30 novembre 1943.
Son journal, composé de 8 cahiers, a fait l’objet d’un publication partielle en 1981 sous le titre « Une vie bouleversée », puis d’une édition complète en 2008 sous le titre « Les écrits d’Etty Hillesum ». En voici quelques extraits :
Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois je parviens à l’atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre à jour. Il y a des gens, je suppose, qui prient les yeux levés vers le ciel. Ceux-là cherchent Dieu en dehors d’eux. Il en est d’autres qui penchent la tête et la cachent dans leurs mains, je pense que ceux-ci cherchent Dieu en eux-mêmes.
On a parfois le plus grand mal à admettre, mon Dieu, tout ce que tes créatures terrestres s’infligent les unes aux autres en ces temps déchaînés. Mais, mon Dieu, je continue à tout regarder en face, je ne me sauve devant rien. Je cherche à comprendre et à disséquer les pires exactions, j’essaie toujours de retrouver la trace de l’homme dans sa nudité, sa fragilité, de cet homme bien souvent introuvable. Enseveli parmi les ruines monstrueuses de ses actes absurdes.
Je ne vois pas d’autre issue que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu’il ne l’est déjà.
On est chez soi. Partout où s’étend le ciel on est chez soi. En tout lieu de cette terre on est chez soi, lorsqu’on porte tout en soi.
Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous.
Tout suit son propre rythme intérieur, il faut apprendre aux gens à écouter ce rythme, c’est la chose la plus importante qu’une personne puisse apprendre dans la vie.
Il faut oublier des mots comme Dieu, la Mort, la Souffrance, l’Éternité. Il faut devenir aussi simple et aussi muet que le blé qui pousse ou la pluie qui tombe. Il faut se contenter d’être.
Et puisque, désormais libre, je ne veux plus rien posséder, désormais, tout m’appartient et ma richesse intérieure est immense.
Les gens ne veulent pas l’admettre : un moment vient où l’on ne peut plus « agir », il faut se contenter « d’être » et d’accepter. Et cette acceptation, je la cultive depuis bien longtemps…
On me dit parfois : « Oui, mais tu vois toujours le bon côté des choses. » Quelle platitude ! Tout est parfaitement bon. Et en même temps parfaitement mauvais. Les deux faces des choses s’équilibrent, partout et toujours. Je n’ai jamais eu l’impression de devoir me forcer à en voir le bon côté, tout est parfaitement bon, tel quel. Toute situation, si déplorable soit-elle, est un absolu et réunit en soi le bon et le mauvais.
On peut nous rendre la vie assez dure, nous dépouiller de certains biens matériels, nous enlever une certaine liberté de mouvement tout extérieur, mais c’est nous-même qui nous dépouillons de nos meilleures forces par une attitude psychologique désastreuse. En nous sentant persécutés, humiliés, opprimés. En éprouvant de la haine. En crânant pour cacher notre peur. On a bien le droit d’être triste et abattu, de temps en temps, par ce qu’on nous fait subir ; c’est humain et compréhensible. Et pourtant, la vraie spoliation c’est nous-même qui nous l’infligeons. Je trouve la vie belle et je me sens libre. En moi des cieux se déploient aussi vastes que le firmament. Je crois en Dieu et je crois en l’homme, j’ose le dire sans fausse honte. La vie est difficile mais ce n’est pas grave.
23 février 2019 à 10:39
Merci pour ce beau témoignage🙏
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23 février 2019 à 20:11
croire ou savoir ?
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24 février 2019 à 08:24
Je relis plusieurs fois, ils sont si profonds ses écrits !
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