– Le penseur amoureux –
Ce jour-là à la radio, il était question des ambiances sonores dans les centres commerciaux. Sujet beaucoup moins anodin qu’il n’y paraît. Comme le soulignait l’un des spécialistes présents, nos oreilles n’ont pas de paupières pour se protéger. Nous sommes donc beaucoup plus vulnérables face à un environnement sonore que vis-à-vis de sollicitations visuelles. Et nos réactions émotionnelles, sur lesquelles les sons et la musique ont une influence considérable, sont étudiées sous toutes les coutures par une nouvelle branche des techniques commerciales, le neuromarketing.
Il y avait donc, derrière le micro, un expert de ce marketing nouvelle tendance. Très rapidement, il entra dans le vif du sujet pour nous expliquer comment un style de musique, une ambiance sonore pouvait influencer nos comportements de consommateurs. Il étayait ses propos par des exemples comme celui-ci : lorsque l’on diffuse de la musique classique dans un restaurant, le client sera plus enclin à commander un vin d’un cru supérieur à ce qu’il était prêt à débourser avant d’entrer.
« S’agirait-il d’une forme de conditionnement ? » s’est enquis poliment l’animateur. « Je préfère parler d’amorçage cognitif. – Pardon ? – Il s’agit d’une forme de sollicitation qui amène à un comportement. – C’est donc bien du conditionnement. – Oui, mais nous n’utilisons pas ce terme en marketing. »
A partir de là, cette controverse sémantique revint régulièrement sur le tapis, le journaliste ne pouvant s’empêcher de titiller son interlocuteur : « En fait, ce n’est pas que ce terme soit faux, mais c’est que vous ne l’aimez pas. – Nous parlons plutôt de communication et d’ambiance sonore associée à une marque. »
Un peu plus tard : « Ce que vous nous dites en gros c’est que nous n’avons pas encore totalement percé les secrets du cerveau qui nous permettrait de pouvoir, pour le coup, manipuler les esprits. J’utilise ce terme parce que vous ne m’en avez pas donné de plus satisfaisant. »
Tout cela, dans un langage très policé, car nous étions tout de même sur le service public.
Un autre invité vint indirectement donner raison au journaliste : « Communiquer c’est mettre en relation, disait Albert Jacquard. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans l’ère de l’influence. On fait très peu de différence entre l’opinion, qui met du pathos, l’information, la communication et la propagande. »
Rien de bien nouveau sous le soleil, me suis-je dit, sinon la sophistication grandissante des méthodes consistant à tirer profit de son semblable, exploiter ses failles et ses faiblesses, sans que rien n’y paraisse.
C’est alors que m’est revenue en mémoire cette déclaration d’un petit paysan en butte aux tracasseries d’un puissant lobby agricole : « N’exploitez pas, cultivez ! Avant les années soixante, on indiquait « cultivateur » sur sa carte de visite. Depuis on se dit « exploitant agricole ». Exploiter s’est appauvrir, cultiver s’est enrichir. »
Le bon sens paysan, ça c’est de la Com !
27 janvier 2014
Chroniques