– Marguerite Porete (1250 – 1310) –
« Je commençais alors à sortir de l’enfance, et mon esprit commença à vieillir lorsque mon vouloir fut mort et que mes œuvres furent achevées, ainsi que mon amour qui me rendait frivole. En effet, l’envahissement de l’amour divin, qui se montra à moi par la lumière divine dans un éclair très élevé et éclatant, me montra tout d’un coup et lui-même et moi-même ; lui était très haut, et moi j’étais si bas que je ne pus ensuite m’en relever ni m’aider de moi-même ; et de là vint ce que j’ai de meilleur. Si vous ne comprenez pas cela, je ne puis faire mieux : cette œuvre est miracle dont on ne peut rien vous dire sans mentir. »
« Et parce qu’ils tiennent et savent en vérité qu’ils sont égarés, ils demandent souvent leur chemin avec ardent désir, à celle qui sait, c’est-à-dire à demoiselle Connaissance, illuminée par la grâce divine. Et leurs questions apitoient cette demoiselle – ceux qui sont égarés le savent bien –, et c’est pourquoi elle leur enseigne le droit chemin royal par le pays du rien-vouloir. Cette direction est la bonne : celui qui la prend sait si je dis vrai, et ils savent aussi, ces gens égarés et qui se tiennent pour mauvais ; en effet, s’ils sont égarés, ils peuvent venir à l’état des personnes libres dont nous parlons, grâce à l’enseignement de cette lumière divine, à qui cette âme d’humble condition et égarée demande son chemin et sa direction. »
« Celui qui brûle, n’a pas froid, et celui qui se noie n’a pas soif. Or cette âme est si brûlante en la fournaise du feu d’amour, qu’elle est devenue feu, à proprement parler, si bien qu’elle ne sent pas le feu, puisqu’elle est feu en elle-même par la force d’Amour qui l’a transformée en feu d’amour. »
« En ce pays, courtoisie est loi, amour est mesure et bonté, nourriture ; la douceur m’en attire, la beauté m’en plaît, la bonté m’en repaît ; que puis-je donc désormais, puisque je vis en paix ? »
« Le paradis n’est autre chose que de voir Dieu. Et quelqu’un s’y trouve en vérité pour autant et aussi souvent qu’il est désencombré de lui-même ; et cela, non pas glorieusement – car pour cette créature, son corps est trop grossier –, mais divinement, car au-dedans, elle est parfaitement délivrée de toutes les créatures ; et c’est pourquoi elle vit de gloire, sans intermédiaire, et elle est en paradis sans y être. »
« Recherchez le sens caché de ces paroles, si vous voulez les comprendre, sinon vous les comprendrez mal ; en effet, elles sembleront quelque peu contradictoires à celui qui n’ira pas jusqu’au cœur de ce sens caché. Mais ce qui ne fait que sembler n’est pas la vérité : il n’y a qu’elle-même qui le soit, et rien d’autre. »
Extraits de « Le miroir des âmes simples et anéanties (et qui seulement demeurent en vouloir et désir d’Amour) », édité chez Albin Michel.
20 juin 2012
Textes choisis