Petit Poucet

20 mars 2012

Témoignages

– Pierre Boquié –

Été ’65. En bordure d’un champ ensoleillé, ma mère a étendu la nappe à carreaux, sorti le panier de victuailles et nous piqueniquons en famille, sur la route des vacances.
Assise à l’écart, notre bonne, à peine âgée d’une vingtaine d’années, a discrètement branché son transistor sur Europe 1 qui diffuse le hit-parade. Une drôle d’introduction à la guitare, soulignée par une basse puissante me fait dresser l’oreille. Mon attention reste en éveil tout au long des quatre minutes de ce « quelque chose » qui, du haut de mes onze ans, ne ressemble à rien de ce que j’ai entendu jusqu’ici. Un choc musical dont j’ai gardé encore aujourd’hui un souvenir très clair. Il me faudra ensuite attendre deux ans, pour apprendre par l’intermédiaire d’un copain de colo, qu’il s’agissait du numéro Un de l’été : Satisfaction (I can’t get no) par « Ladies and gentlemen, The Rolling Stones ! »
Je ne comprenais pas ce que disait la chanson, mais j’avais perçu la révolte sourdre dans la voix à la fois suave et provocante de Mick Jagger. Devenu hymne de toute une génération, Satisfaction annonçait les bouleversements à venir d’une société de consommation sur le déclin. Inutile de dire que je serai résolument Rolling Stones plutôt que Beatles. S’il n’était pas possible de trouver la satisfaction, c’était au moins libérateur de pouvoir reprendre en chœur avec eux, seul dans ma chambre, leurs refrains rebelles.
C’est l’année suivante, en Inde, qu’un jeune garçon s’est senti appelé pour transmettre au monde ce message simple « la paix (le bonheur, la satisfaction…) que vous cherchez est en vous. Je peux vous aider à la trouver ». Cinq ans plus tard, il s’envolera pour l’Occident et son message remporta un immense succès auprès de toute une génération en quête de sens et d’un bonheur non tributaire des circonstances extérieures.
En attendant, au printemps ’69, j’ai interprété à ma façon les paroles de cet autre tube de mon groupe fétiche de l’époque et voilà que j’ai décidé de tout plaquer pour partir sur les routes :
« Tu ne peux pas toujours avoir ce que tu veux
Mais si jamais tu tentes ta chance
Tu découvriras
Que tu reçois juste ce dont tu as besoin. »
Trois années après, et pas mal de désillusions, prenant subitement conscience que je m’étais égaré en cours de route, je déclarais à mes amis, avec un peu d’emphase : « Nous attendons quelqu’un. » Intuition, appel, est-ce utile de chercher à analyser ? Un fait demeure : ma soif de paix avait grandi et Prem Rawat y a répondu deux mois plus tard.
A cette époque, j’avais un peu oublié les idoles de ma jeunesse qui pourtant, la même année, nous adressait ce joli message, dans l’une de leurs plus belles compositions :
« Puisse la lumière du Seigneur briller sur toi. »
Les années ont passé, mais mon réflexe de tendre l’oreille lorsque passe à la radio le son inimitable des « Pierres qui roulent » ne s’est pas émoussé. J’ai bien ri lorsqu’en 1997 j’ai entendu Mick Jagger entonner :
« Mais non, mais non, tu ne feras jamais de moi un saint. »
De plus le riff de Keith Richards était toujours aussi bon. Ce dont je ne me doutais pas, en revanche, c’est que ce petit refrain était annonciateur de ma propre traversée du désert.
En 2005, pris de nostalgie adolescente, j’ai acheté leur dernier album. J’y ai découvert une perle dont ils ont parfois le secret et qui n’aura pourtant pas fait numéro Un. Je subodore que Mick est le principal artisan de cette confession de star, qui a tout essayé et se pose à la fin cette question, sur fond de rythme incantatoire :
« J’ai beaucoup bourlingué et le plus loin possible
Me demandant qui pourrait être mon guide. »
La chanson s’intitule « Je ris, presqu’à en mourir ». Elle m’a rappelé cette phrase de Kabîr, poète indien du XVIe siècle : « Fais en sorte que les gens rient à ta naissance et que ce soit toi qui ris au moment de ta mort. »
Tu y es presque Mick ! Il serait peut-être temps d’éteindre les projecteurs et les amplis et de contempler ton œuvre avec un regard d’enfant. Tu y découvriras peut-être un sens caché que tu ne soupçonnais pas jusqu’ici : l’expression d’une quête ponctuée de petites pierres blanches que, tel le Petit Poucet, tu as égrenées sur le chemin de ta vie.

Dans l’ordre des citations :
– You can’t always get what you want (Let it Bleed, 1969)
– Shine a light (Exile on main street, 1972)
– Saint of me (Bridges to Babylone, 1997)
– Laugh, I Nearly Died (A bigger Bang, 2005)

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3 Commentaires le “Petit Poucet”

  1. Pierre Chosson dit :

    Merci pour ces tranches de vies qu’on garde (trop?) pour nous mêmes et qui sont si bonnes à découvrir.

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  2. Catherine Potron dit :

    Merci Pierre pour toutes tes belles histoires dans lesquelles on se reconnait… même génération, même quête, même rencontre…. et merveilleuse réponse que l’on savoure
    jour après jour….et un festin est bon à partager…..

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  3. Boquié dit :

    Merci Pierre pour ce retour en arrière sur des vacances partagées… et la découverte de ton groupe favori. C’est souvent lorsque l’on ne s’y attend pas qu’il se passe quelque chose d’un peu magique, ce petit plus, qui redonne un sens à notre vie.

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