– Loïc Allio –
Ce matin j’ai reçu un email absolument indésirable. Le genre de message qui peut vous gâcher la journée. Je ne sais combien de temps il a été stocké, mais ce message sent un peu le moisi, voire le pourri, du moins en ce qui concerne son contenu.
Sur la colonne à droite, on m’interpelle par mon prénom : « Loïc, pensez à vos proches. » On y voit les photos d’un homme d’un certain âge, souriant et tenant dans ses bras un enfant, probablement son petit-fils. Puis une autre photo d’une famille souriante, rassemblant différentes générations.
Jusque-là tout va bien à part qu’ils ont dû se tromper de Loïc puisque je n’ai pas d’enfant et donc pas de petits-enfants.
Colonne de gauche, dans un encadré : « M. Allio, Demandez vos devis maintenant. » Cela devient plus sérieux, on m’appelle « Monsieur », mais là encore il doit y avoir méprise, je n’ai aucun projet de travaux à venir. Je continue ma lecture.
« En quelques clics, recevez jusqu’à quatre devis personnalisés concernant :
– l’épargne obsèques,
– l’assurance décès,
– l’organisation obsèques. »
Les salauds !!! En guise de clics, ils méritent des claques pour nous saper le moral ainsi, en tout début de journée.
Comment m’ont-ils retrouvé ? Visiblement ils n’ignoraient pas, eux, que j’allais mourir un jour, ou peut-être une nuit, paisible dans mon sommeil ? Y a-t-il eu des indiscrétions de la part de mes proches ? Je ne le saurai sans doute jamais et ils ajoutent (ces fossoyeurs virtuels) que c’est « sans engagement de ma part ». C’est déjà ça : je ne m’engage pas à mourir !
Ce sont des devis gratuits, dans ce cas pourquoi se priver ? Et cerise sur le cercueil, il y a une petit vignette qui rassure : « Garantie sérénité ». Ha ! Bon ! Je respire mieux, si tout cela se passe dans la sérénité, que demander de plus…
Je ne sais évidemment pas combien de temps il me reste à vivre. Un accident est si vite arrivé !
L’autre jour dans le métro, j’ai essayé d’entrer dans la rame alors que les portes se refermaient. J’y suis arrivé mais au prix d’un gros effort et avec l’aide d’un passager qui a dégagé mon sac à dos coincé. Plusieurs jours plus tard, je ressentais encore une douleur à la poitrine, probablement une petite fêlure à une côte, là où la poignée m’avait touché. C’est d’autant plus stupide que je ne suis pas à trois minutes près, le temps d’attendre la rame suivante.
Même si la faculté de courir, de se déplacer plus rapidement peut se révéler précieuse dans certaines circonstances, passé un certain âge, il est préférable de s’en abstenir. Le risque de s’emmêler les pinceaux et de faire une chute est devenu trop grand et le tableau final peut être aussi confrontant à regarder qu’une toile de Francis Bacon, encadré de cols de fémurs brisés. J’espère que cela va me servir de leçon, que je vais arrêter de courir et devenir plus sage.
Malheureusement, la sagesse ne rime pas forcément avec vieillesse. Soixante-deux ans au moment où j’écris ces lignes, ce n’est plus tout jeune mais ce n’est pas vieux non plus et pourtant de plus en plus souvent, de jeunes personnes se lèvent pour me laisser leur place dans le métro et autres transports en commun. Ça me fait drôle. Il est vrai que mon grand front s’est dégarni et que les cheveux qui restent sont devenus plus ou moins gris. Mais ces jeunes ne savent-ils pas que j’ai gardé mon cœur d’enfant, qu’il n’a pas pris une seule ride malgré l’irrésistible passage du temps ?
11 juillet 2014 à 01:24
Succulent !!! Drôle et tellement réaliste sur notre vie. Vous avez touché mon cœur.
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13 août 2015 à 11:30
J’ai beaucoup apprécié cette subtilité « …s’emmêler les pinceaux… et le tableau d’une toile… »
A tout âge, pensons à marcher d’un pas souple et léger !
Il est vrai que si nous ne quittons pas cette sérénité, elle ne le fera pas non plus ! et jusqu’au bout… ça soulage de le savoir ! non ?
Quel que soit notre âge, il est toujours au passé !
Bonjour Allio, c’est Tchékov ! moi j’en ai 63 !
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14 août 2015 à 09:17
Je me vois avoir confondu nom et prénom, sorry Loïc !
Le coeur m’a conduit… jusqu’ici !
En effet, je cherchais une citation de Maharaji au sujet du coeur et je n’étais pas sûre de la trouver car elle devait aussi être accompagnée du mot blessure(s).
Tout cela m’a conduit au « Passage du Temps » et à ce beau texte de Loïc et j’en suis ravi.
Ravi aussi de retrouver mes compagnons Premies, depuis tout ce temps !
De la rue Pierre Grenier à Boulogne, en passant par Bry-sur-Marne, puis Lille et tous ces lieux sacrés ! et magiques, me voilà aujourd’hui à des milliers de kilomètres, dans un beau pays qui s’appelle justement La Réunion et qui me rapproche de vous et de lui… Merci !
Tchékov (pour ceux qui m’ont connu sous ce pseudo d’ashram !)
Et merci pour ce beau site autour de ce merveilleux message qui n’a pas pris une seule ride, lui !
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